Pierre à cupule de Villarenger : entre mystères archéologiques et croyances populaires

Dans les vallées alpines, certaines pierres gravées intriguent depuis des siècles par leur aspect unique et leur signification encore incertaine aujourd'hui. La Pierre à cupules de Villarenger, connue sous le nom de "Pierre de la Chouette", est l'un de ces fascinants vestiges du passé. Située dans la vallée des Belleville en Savoie, elle se distingue par ses gravures anciennes – des cupules et des croix – témoignant d’usages variés et d'une réappropriation humaine au fil des millénaires.
Pour mieux comprendre l’importance de ces gravures et leur rôle dans l’histoire, il est utile de replacer la Pierre de Villarenger dans le contexte plus large de l’art rupestre, une pratique millénaire qui éclaire les mystères de ce patrimoine.
L'art rupestre, un témoignage ancestral
Le terme « rupestre », apparu au XIXe siècle, désigne ce qui est peint ou gravé sur des parois rocheuses. Il est emprunté au latin scientifique rupestris, signifiant « de la roche », lui-même dérivé de rupes, « paroi de rocher ».
Dans les Alpes, l'art rupestre se caractérise principalement par des gravures réalisées en plein air sur des dalles ou des blocs isolés, disséminés dans des sites en vallée ou en altitude. Ces motifs, gravés dans la pierre entre la fin du Néolithique (3 200 av. J.-C.) et le début de l'époque romaine (1er s. av. J.-C.), représentent souvent des thèmes figuratifs évoquant les préoccupations de ces temps (agriculture, chasse, guerre, danse). Toutefois, leur signification exacte reste voilée de mystère.
Les pierres à cupules : des marques universelles
Les pierres à cupules, présentes presque partout dans le monde, sont gravées de petites cavités hémisphériques ou coniques, créées par percussion puis rotation d'un outil en pierre dure. Certaines cupules sont reliées par des rigoles peu profondes. Bien que leur répartition varie selon les régions et les cultures, elles témoignent d'une pratique humaine ancienne et mystérieuse.
Ces pierres ont suscité de nombreuses hypothèses :
- Rituels religieux : Elles auraient pu servir à des offrandes, comme le versement de liquides (eau, lait, sang) pour honorer des divinités ou à des pratiques magiques.
- Marquages astronomiques : Certaines théories suggèrent qu'elles pourraient représenter des constellations ou des alignements célestes.
- Utilisation pratique : Les cupules pourraient avoir servi de mortiers primitifs pour broyer des graines, des pigments ou d'autres substances, notamment pour des préparations culinaires, médicinales ou artisanales.
- Marquages territoriaux : Certaines pierres à cupules auraient pu être des marqueurs de territoire ou des bornes délimitant des zones utilisées pour la chasse, le pâturage ou des rites communautaires.
- Symboles funéraires : Des cupules ont été retrouvées à proximité de tombes ou d’autres structures funéraires, ce qui laisse penser qu’elles pourraient être liées à des rituels de deuil ou à une symbolique liée à l’au-delà.
- Jeux ou divertissements : Certaines théories suggèrent que les cupules auraient pu être utilisées pour des jeux anciens, ressemblant à des sortes de plateaux rudimentaires pour des activités ludiques.
Cependant, au Moyen Âge, leur origine était souvent incomprise, et elles furent réinterprétées à travers le prisme des croyances sacrées ou diaboliques. Certaines pierres furent ainsi associées à des forces surnaturelles :
- Pierre du Diable ou Marmite du Diable : Ces noms proviennent de l’idée que ces marques auraient été faites par des entités maléfiques pour effrayer ou impressionner.
- Pierre des Saints : Dans certaines régions chrétiennes, les cupules furent attribuées à des saints ou des ermites, liées à des rituels sacrés ou des bénédictions.
La Pierre à cupules de Villarenger
Connue sous le nom de "Pierre de la Chouette" (« Pierre Chévetta »), elle se situe à Villarenger, dans la vallée des Belleville (Savoie), à une altitude de 1 280 m.
Une vallée chargée d'histoire
La vallée des Belleville, comme d'autres vallées alpines, a été fréquentée dès la Préhistoire par des chasseurs-cueilleurs nomades. À partir du Néolithique, elle fut utilisée pour le pâturage saisonnier par des éleveurs. Pendant l'Âge du bronze et du fer, elle devint un lieu stratégique pour les échanges commerciaux et les pratiques rituelles, comme en témoignent les vestiges retrouvés dans les Alpes voisines (pierres à cupules, outils métalliques).
Caractéristiques et interprétations
La Pierre de la Chouette est ornée de cupules et de croix gravées, témoignant d'une utilisation et d'une réappropriation humaine sur plusieurs millénaires.
Les cupules, typiques des pratiques protohistoriques (période entre la Préhistoire et l'Histoire, marquée par l'absence d'écriture locale), relient cette pierre à d'autres sites similaires trouvés dans les Alpes et ailleurs en Europe. Leur présence suggère qu'elle aurait pu servir de lieu pour des rituels ou des activités symboliques à une époque reculée, avant d'être réinterprétée par des générations ultérieures.
Les croix gravées, vraisemblablement ajoutées au Moyen Âge, reflètent une tentative de christianisation des symboles païens. Ces ajouts avaient pour but de réinvestir la pierre dans un contexte religieux chrétien tout en renforçant son rôle protecteur. La pierre était perçue comme une barrière symbolique capable d’éloigner les forces maléfiques.